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lundi 31 août 2015

LE PEINTRE DES SUPPLICES : JULES-EDGAR DE STHILLYNANS

JULES-EDGAR DE STHILLYNANS, PEINTRE DES SUPPLICES ( 1732-1804)

Sorti en 1749 de l'école de peinture,  pétri d'ambition et excéssivement confiant en son talent, le jeune Jules-Edgar se mit, comme tant d'autres *  à proposer des toiles de paysages naturels, puis crut trouver sa "manière" en se spécialisant dans les pommes, poires, fleurs, et autres gibiers attendant la découpe sur les tables de cuisine...
Un jour, son ancien professeur le conseilla ainsi :

"Les natures mortes, mais c'est d'un commun !!! Mille peintres le font déjà !! trouves-autre chose !! ou jamais tu ne perceras !! "

Voulant justement émerger de la multitude des peintres exerçant alors,  il chercha donc à se spécialiser plus encore, et, de son esprit enfumé et fumeux, sortit à l'aube du 26 juin 1752  cette fulgurance : le concept de "nature mourante"... Cela lui vint sans doute, disent ses biographes, à la suite au spectacle de la pendaison en place publique d'un pauvre diable condamné pour un vol domestique..Remarquant que l'un de ses confrères s'était spécialisé dans les scènes libertines, et sans être un grand nom tel "Quentin de la Tour", vivait fort bien de ses toiles osées, vendues aux maisons de tolérances de Paris et de la province jusqu'à Rouen, il pensa : 

"Et si, au contraire du  plaisir et du jouîr, moi, je peignais plutôt la souffrance, et même l'ultime souffrance : celle qui exclut tout espoir ?"

Au début de sa carrière, pour s'exercer et se faire progressivement la main, il résolut de commencer par les "petites et anodines souffrances" : après avoir peint un ongle pris dans la touche d'une épinette, il se rendit dans les collèges royaux, ou étaient alors couramment pratiqués les châtiments corporels des élèves "indisciplinés" ou "causeurs de dérangement à la quiétude des cours". Il obtint de peindre ainsi des petites scènes de "tapement de doigts joints avec baguette en bois dur", ou encore " de "baguette en fer forgé", ou de "fouettage mesuré d'un cancre et perturbateur"; une toile représentant un "dos de collégien turbulent de 12 ans, cruellement marqué de huit marques de fouet, parfaitement parallèles", reçut même les félicitations d'un proviseur, qui la conserva longtemps accrochée au dessus de son bureau, dans le but d'intimider les élèves paraissant devant lui...Certains parents de ces élèves punis achetèrent même ses oeuvres, pour que leur enfant s'en souvienne si l'envie lui prenait de s'attirer de nouveau les foudres de leurs maîtres..Il crut ainsi, nota t'il dans son journal " contribuer à parfaire l'éducation de la jeunesse de France"...

Scènes de genres de pendaisons, têtes coupées jaillissant des billots, flammes léchant les corps aux bûchers, impacts de la barre de fer sur les membres des roués... toute particulière qu'elle fut, sa production trouvait des amateurs, du moindre artisan jusqu'à la Cour, et s'écoulait sans difficulté : il en vivait assez bien, logeant dans un confortable hôtel... Consciencieux, il se faisait un devoir "artistique" d'assister aux éxécutions  qui se succédaient alors à un rythme soutenu, en cette époque ou les juges n'étaient points porté sur l' indulgence ...

Doué d'un réel sens commercial, il trouva son "marché de niche", comme on dirait de nos jours : ses clients furent les dirigeants et officiers des établissements scolaires, mais aussi des maisons de redressement, des prisons et autres lieux de basse et moyenne justice.... et toute la profession des gens des professions judiciaires, des simples huissiers jusqu'aux "tourmenteurs" des salles de tortures (encore légales !) et aux "bourreaux" de province... sans parler des familles des condamnés, qu'il n'hésitait d'ailleurs pas à démarcher lui-même (respectant tout de même, en bon chrétien, un délai de décence de trois jours après l'éxécution..!). "le commerce de l'art n'exclut point la déontologie", disait-il !

Mais en 1757, lassé des scènes de pendaison, décapitations et autres roueries, et désireux de pousser encore plus loin la "recherche esthétique" pour "rendre au mieux" la réalité ressentie des souffrances, apprenant le procès et la condamnation du régicide Damiens à l'écartèlement (supplice inédit en France depuis près de 150 ans), il vit là une occasion inespérée de "faire évoluer son style", et il n'hésita pas à adresser  au Parlement de Paris la requête suivante, avec un rien de flagornerie :

"Messieurs du Parlement,

Peintre bien connu sur la place de Paris, exposant parfois, j'éprouve un fort intérêt pour la description des scènes de haute justice, et l'évocation la plus juste des souffrances méritées des indignes personnes dont vous purgez la Nation, et qui sont confiées aux glaives ou bois de justice ; Je suis donc fort intéressé à la très prochaine exécution en Place de Grève, du Monstre Damiens, assassin du Roi, dont je vous loue d'avoir ordonné l'écartèlement à quatre chevaux,(d'ailleurs trop faible sanction d'un si innommable crime). Sans vouloir en rien interférer dans le procédé de ce châtiment, je me prosterne devant vos Seigneuries, et j'ose humblement vous présenter une demande : vos hautes et estimées seigneuries seriez d'un grand appui à l'avancée de l'art pictural, art si grandiose et dont s'enorgueillit la France, en autorisant le modeste dessinateur que je suis, à étudier de près, après la juste exécution dont vous avez convenu en application de la Loi, l'un ou l'autre des membres disjoints du  criminel condamné. Si cette pièce m'est confiée, sous votre garde s'entends, j'assure qu'il ne me sera nécessaire de l'étudier qu'une seule journée, après quoi bien entendu, cette ou ces parties du régicide seront rendues à l'éxécuteur, et comme de juste mises au feu... " .
Il crut bon de préciser.."j'attache une importance toute particulière à l'étude de l'arrachage des chairs et veines des bras, et la répartition des épanchements sanguins, qui me permettrait de rendre tous les degrés de douleurs auxquels s'exposent les insensés qui osent attenter à la vie des monarques".

La réponse du Parlement fut la suivante :

Monsieur,

"Comme toute correspondance parvenues à notre juridiction, votre courrier a été étudié avec toute l'attention que les services du Parlement doivent aux loyaux sujets du Roi ; cependant, une telle demande, qui heurte l'esprit d'humanité, ne peut inspirer qu'horreur et dégoût ; aussi ne donnons nous évidemment point suite à cette requête, qui n'appelle d'autre réponse que le mépris le plus absolu".

Cette réponse cinglante de la plus haute juridiction du Royaume fut le signe du commencement de sa chute...
En effet, cette affaire fut aussitôt connue dans les milieux des "petits maîtres en peinture", mais n'eut pas d'effet immédiat sur ses ventes : il continua a écouler pendant quinze ans encore jusqu'à vingt tableaux "à la mourante" par an... mais son étoile pâlissait d'année en année... le lugubre de son art n'émoustilla bientôt plus grand monde...
Sa renommée en prit un sacré coup lorsque, lors d'une réception, ayant sans doute abusé du champagne, il révela à des publicistes et écrivaillons critiques d'art... que depuis plusieurs années, afin de donner plus de réalisme  à ses tableaux, il se laissa aller à réveler qu'il utilisait du sang humain !!! prélevé en douce dans un hôtel-dieu proche.. ou se pratiquaient notamment force amputations...
Cette révélation choqua en ce beau XVIIIe siècle si sensible, on s'émut, on jugea le fait "vraiment indigne, immoral et le fait d'un fou scabreux qui ose de dire artiste, qui déshonore ce métier" et du jour au lendemain, l'information  se répandant et s'éxagerant, notamment via les polémistes et critiques d'art du "Journal de Paris",  Jules-Edgar perdit ses amitiés dans la profession, et sa clientèle se tarit..

Un journaliste résuma ainsi la question :

"On veut bien voir du sanglant au dehors, mais on ne tolère pas le sang accroché chez soi!" .


Dés 1785, non seulement on ne lui commanda plus de toiles (à quelques exceptions prés, tels des présompteux nobliaux de lointaines provinces souhaitant en imposer à leurs paysans, ou de visiteurs étrangers avides de collections douteuses), mais il arriva même qu'on lui en rende et qu'on lui demande de rembourser...

Le croisant un soir, l'un de ses confrères osa à la cantonade cette saillie à son endroit : "Vous en avez tant peint, vous voila bien puni : c'est là votre bûcher; vous voilà bien grillé dans la profession !!".
Ce mot d'esprit ne le fit point sourire, lui auparavant si porté sur la blague morbide.

Jules-Edgar DE THILLYNNANS mourut en 1804 dans la misère, ayant bien essayé sur le tard une reconversion radicale dans la peinture "rose bonbon", naÏve et enfantine... ** visant le "marché de niche" des chambres d'enfants et des nurseries, mais ce virage pictural à 180 degrés fut sans aucun succès...

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* Voir plus bas l'article sur un autre peintre de l'époque  DILERRONAZZI, spécialiste des "Cieux".

** On notera que, psychologiquement diminué par le discrédit, il ne pensa pas même à "rebondir" sous la Terreur, ou pourtant les scènes de guillotinage furent très nombreuses avec beaucoup de condamnés nobles et aux proches argentés... il faut croire que son sens du commerce s'était évanoui avec sa réputation !!



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